30 sept. 2013
S/H
Steve Hauschildt a sorti ce mois-ci chez Mego (dernier label
d’Emeralds) un double album compilant des morceaux enregistrés entre 2005 et
2012. Après le très bon Sequitur (2012) (qui comptait la chanson la plus
addictive de l’année) et la merveille Tragedy and Geometry (2011), ces 37
morceaux confirment s’il le fallait la grande créativité d’Hauschildt, car ici
rien ne se ressemble même si c’est toujours la même chose. Je suis vraiment
fan de ces drones kosmisches et je regrette que certains morceaux s’arrêtent trop
vite. C’est le lot d’une compilation de vieux matériel j’imagine, mais j’aurais
aimé parfois me laisser dériver plus longtemps dans l’espace sans être
interrompu dans mes rêveries – le sentiment par moments d’avoir écouté des brouillons, même s’ils
sont toujours impeccables.
Il a les moments kitsch inévitables, il y a aussi la naïveté
et l’innocence qui caractérisaient si bien Emeralds et il y a aussi de l’anecdotique.
C’est qu’en synth-pop, la frontière entre le beau et l’anecdotique est assez
mince, et finalement on n’est jamais exclusivement dans l'un ou dans
l’autre. Ce qui plaît, c’est que ces sonorités passent, vous transportent sans
vous bouleverser totalement. Ca rêve
beaucoup mais c’est aussi souvent teinté de mélancolie – des voyages dans
le futur du passé qui font les mondes parallèles.
Finalement, que ça s’arrête
vite parfois, comme des souvenirs fugaces qu’on n’arrive pas à retenir
totalement, à saisir en détails, ça colle bien avec le reste.
29 sept. 2013
Où la conscience s’arrête-t-elle : comment l’art peut-il coexister avec la nature ?
Par Ian Maleney, The Quietus, 5 septembre 2013
Comment l’art peut-il fournir un aperçu éclairant des relations mouvantes qu’entretient la société avec la nature ? L’appropriation progressive des sculptures de Lough Boora en Irlande par leur environnement, et l’œuvre du musicien Richard Skelton en offrent des exemples frappants, selon Ian Maleney.
System No. 30, de Julian Wild, à Lough Boora |
Il y a deux semaines je suis allé avec mes parents et le
chien visiter l’espace de Lough Boora,
une grande étendue marécageuse protégée. Ce n’est pas loin de l’endroit où la
première centrale électrique d’Irlande utilisant la tourbe comme combustible se
tenait, bien que les deux cheminées qui avant dominaient l’horizon sur des
kilomètres ont été abattues en 2003 et que les petites locomotives qui tiraient
des chariots de tourbe à travers le marais ne sont plus. Alors que cette
pratique continue ailleurs dans le pays, les 2000 hectares de
terre autours de Lough Boora offrent le premier exemple de ce qui pourrait
advenir des tourbières qui ont dominé le centre du pays une fois qu’elles ont
été exploitées au maximum. Dans les décennies à venir, de plus en plus de ces
tourbières n’auront plus d’utilisation commerciale, et ce qui en advient après
est d’une grande importance écologique et sociale pour une immense partie du
territoire irlandais.
A Laugh Boora, la réponse a été de
créer un parc public, des voies navigables et une réserve d’oiseaux. Au cœur du
site se trouvent une série de sculptures commissionnées. Le projet a commencé
en 2002 avec huit sculptures placées à des endroits spécifiques et s’est
maintenant étendu à plus du double. L’argument est plutôt simple : une
œuvre qui est faite et est inspirée par la tourbière elle-même et son récent
passé industriel. Certaines sont imposantes et très représentatives de
l’histoire du terrain, comme Sky Rain de Michael Bulfin ou Raised Line de
Maurice MacDonagh. D’autres sont plus petites et apparemment plus personnelles,
Happiness et Secret Garden de Marianne Jorgensen
par exemple, où de grands mots sont gravés ou sculptés dans la terre –
« Happiness », « Love », « Hate »,
« War », « Peace ». D’autres sont essentiellement des
figures abstraites – les flèches courbes de Cycles, le tourbillon de Boora Convergence, l’austère 60 Degrees.
Les œuvres vont et viennent ; certaines
sont conçues pour être temporaires, et certaines sont maintenant présentes
depuis plus d’une décennie. Ce qui était à cette époque des chemins dégagés à
perte de vue est devenu, par endroits, une surface touffue et inaccessible. Où
il y avait une galerie en plein air, il y a maintenant un enchevêtrement de
fourrés desquels émergent parfois des sculptures, souvent radicalement
transfigurées par rapport à ce qu’elles étaient dans leur présentation
d’origine. Le décorum de l’œuvre est réduit, et le degré auquel le terrain
s’est approprié les sculptures devient la chose la plus intéressante dans
l’expérience d’être là. Les œuvres de Jorgensen ont presque complètement
disparu, chaque trace dispersée par le vent. Raised Circle de MacDonagh est caché dans une forêt de grandes
herbes d’été, prête à réapparaître à l’hiver. Beaucoup de celles qui restent
intactes et visibles semblent en comparaison s’imposer à nous ; les
messages bruts d’une intention humaine où la nature luxuriante et l’œuvre
érodée ne font plus qu’un avec le lieu, ni complètement humain, ni complètement
marécage.
Raised Circle, de Maurice MacDonagh, à Lough Boora
|
J’étais au Hilltown New Music
Festival il y a environ six semaines. Le festival s’est tenu sur deux jours à
Hilltown House, une petite propriété perchée sur les collines de Co. Westmeath,
un court tronçon de route escarpé au nord du la ville de Castlepollard. Pendant
l’année, la maison sert de refuge, invitant des artistes à venir travailler
dans la solitude et la quiétude qu’offre un tel lieu. Pour le festival, une
grange réaménagée accueillait les musiciens en résidence, qui pratiquaient
surtout des formes de composition contemporaine plutôt austères et académiques.
Je suis allé voir Richard Skelton, qui jouait avec sa partenaire Autumn
Richardson sous le nom d’AR. Depuis des années maintenant, l’œuvre de Skelton
est en constante communication avec le paysage, sa musique et ses livrets
explorant les relations entre les hommes et la terre qu’ils habitent, d’une
façon réfléchie, belle et complexe. A travers des langages entrelacés, le récit
du paysage et le récit personnel provenant des West Pennine Moors du nord de
l’Angleterre dans Landings, ou du vent violent de la côte atlantique irlandaise
dans Verse of Birds, la musique de Skelton réalise souvent une rare connexion
avec le monde qui l’entoure.
En plus des performances sur scène,
le festival comportait des installations multimédias d’artistes présents ou non
sur place, ainsi qu’une chambre d’écoute qui passait des compositions issues
d’une sélection de propositions libres. Pour leur installation, Skelton et
Richardson ont réquisitionné le donjon du château, une tour abandonnée de
vieilles pierres désormais envahie de lierre, d’orties, d’arbres, d’insectes et
de nids d’oiseaux ; un espace auparavant utilisé par l’homme mais qui ne
l’est plus. Les deux partenaires ont barré l’accès au donjon, énumérant les
noms des plantes qu’ils y ont trouvé dans un petit livret attaché au grillage
qui nous maintient à l’extérieur. A l’intérieur du donjon, un enregistrement
d’oiseaux fait sur place était joué à travers des hauts parleurs. Leur objectif
déclaré était d’attirer l’attention sur ce qui normalement reste ignoré, en
particulier lors d’un festival musical.
Quelques jours après le festival,
Skelton mettait à jour son blog avec une critique,
expliquant d’abord le raisonnement qu’il y avait derrière cette œuvre, et
questionnant ensuite le résultat de chacun de ces aspects. Il est rare de voir
une autocritique artistique si honnête faite publiquement, et encore plus rare
de la voir une semaine environ après que l’œuvre ait été réalisée. Les
questionnements que Skelton soulève à son égard sont extrêmement pertinents,
allant au cœur de ce qui fait le succès de l’art environnemental. La question
principale concerne l’intrusion de l’artiste lui-même dans l’espace – quel
dommage a causé le processus d’enregistrement et de documentation de
l’espace ? Est-ce hypocrite de causer ces dégâts et de demander ensuite
aux autres de rester hors de cet espace ? Est-ce que les intentions de
l’artiste usurpent la vie naturelle du lieu ? L’espace ne se serait-il pas
trouvé mieux s’il avait simplement été laissé en l’état ?
En conclusion il pose la question
que chaque artiste travaillant dans la nature doit prendre en considération –
« comment pouvons-nous attirer l’attention sur quelque chose sans déranger
ou bouleverser l’équilibre fragile qui y existe déjà ? »
Richard Skelton |
Dans un article dans le Guardian
il y a quelques mois, Steven Poole tentait de révéler le caractère bourgeois de
l’écriture contemporaine sur la nature. Il lui semblait qu’il existe un fossé
infranchissable entre la réalité souvent dure du monde naturel, vue comme un
lieu d’authenticité essentielle et incontestable, et la vie confortable et
faite de compromis des classes moyennes urbaines qui sont la cible presque
exclusive de ce genre d’œuvres. Sur ce front, il est difficile de lui donner tord.
Il y a en effet une profusion de littérature consacrée à donner leur dose de
douceur campagnarde aux habitants des villes, comblant nos envies d’une vie
authentique ; mais dans son effort pour attribuer une tendance idéologique
de droite à cette littérature, l’argumentaire de Poole s’effondre.
« Dans une époque d’appréhension
vis-à-vis de l’immigration », dit-il, « la rhétorique écologique
omniprésente sur les espèces « autochtones » et
« invasives » projette sur le monde naturel des schémas ayant trait à
la géopolitique. Les gens parlent de l’écureuil gris comme s’il était le
demandeur d’asile du Moyen-Orient ou le plombier d’Europe de l’Est des tabloïds
haineux, qui vient ici pour profiter des allocations ou voler un emploi. »
Il tente d’identifier les préoccupations
touchant les espèces invasives présentes dans des environnements non protégés
aux « démagogues anti-immigration qui affirment que les étrangers vont
détruire une culture britannique unique et originale. »
« Projette » est ici le
mot clé. Poole projette des préoccupations sociales sur des sujets écologiques
qui n’ont rien à voir avec des lignes sur une carte ou la couleur de la peau.
Poole extrapole à partir d’un élément idéologique avec lequel il est en
désaccord et, dans le mouvement, perd la question environnementale sur laquelle
il était soi-disant censé attirer l’attention. Il se fourvoie à peu près de la
même façon que les écrivains qu’il critique, parlant de la nature comme d’une
extension de la conscience humaine, du monde social, plutôt que d’une chose au moins en partie distincte
des conceptions personnelles que nous avons d’elle. Dans le même temps, la
nature est indépendante, elle est quelque chose que nous ne pouvons pas
connaître et dont nous ne pouvons pas être. Si nous suivons le raisonnement de
Poole, il n’y a aucune façon pour l’homme d’être véritablement en communication
avec la nature.
60 Degrees, de Kevin O'Dwyer, et Sky Train, de Mile Bulfin, à Lough Boora |
Sur le marécage de Lough Boora,
nous sommes dans un espace en transition entre un passé industriel et un future
naturaliste. L’art qui occupe cet espace a le pouvoir de cartographier la
passerelle physique et philosophique entre l’usage humain et non-humain de
l’environnement et, comme tel, il doit être en dialogue avec ces deux idées en
même temps. Quand une sculpture ne domine pas le terrain sur lequel elle a été
conçue pour reposer, alors l’artiste ne met pas ses intentions au-dessus du
mouvement naturel du monde dans lequel il vit et travaille. Skelton semble avoir
senti cette domination dans son œuvre à Hilltown, avoir parlé pour et non pas
avec, ce qui en fin de compte coûte à l’œuvre son fondement conceptuel. Le
raisonnement présent dans l’article de Poole (et aussi violemment dans les
commentaires en dessous de celui-ci) concerne les frontières ; savoir où
notre conscience s’arrête et où la nature commence. Arriver à comprendre
comment traverser cette ligne d’une façon qui ne soit pas polémique mais
éclairante et bénéfique aux deux côtés est l’objectif de l’artiste.
Dans cette partie du monde, notre relation avec le
non-humain, l’environnement non modelé par l’homme, continue de changer,
peut-être influencée le plus fortement maintenant par un sentiment de connexion
au niveau global et de fragmentation sociale au niveau local. Une dépossession,
aux sens pratique et philosophique, a lieu – nos villes nous échappent de plus
en plus, au point qu’elles doivent être ré-occupées (re-Occupied), et la
campagne est quelque chose de distant pour la plupart d’entre nous, presque
inconcevable comme lieu de vie. Il y a un besoin, je crois, pour un art qui
puisse incarner l’histoire en cours de cette dépossession, mais aussi peut-être
frapper au cœur de ce qui peut être regagné. La manière dont Skelton combine
langage et espace dans des récits personnels, historiques, par l’intermédiaire
de différents médias, la manière dont Raised Circle de MacDonagh apparaissent à
travers les herbes – il y a quelque chose là qui appartient à deux mondes,
portant le passé dans un futur possible.
---
Commentaires :
Je trouve cette idée de frontière entre conscience et nature
un peu maladroite. J’ai l’impression que l’auteur identifie notre dépossession
de la nature, notre lien distant avec elle, à cet écart entre notre imaginaire,
nos projections et la réalité solide de la nature. Mais comme il le dit, nous
nous sentons aussi dépossédés de nos villes – il y aurait donc aussi besoin
d’un art urbain.
Si Poole, dans son article pour le Guardian, partage quelque
chose avec ces écrivains bourgeois qui vont se ressourcer à la campagne ou à
l’autre bout du monde, ce n’est pas de concevoir la nature comme une
« extension (...) du monde social » ; c’est au contraire de la penser
comme une entité idéale et intemporelle (pour l’un violente et inhospitalière,
pour les autres idyllique). Le problème ce ne sont pas les projections, c’est
que dans les deux cas nous en sommes exclus, qu'elles organisent une dépossession.
Fin 2011, un autre article dans The Quietus dénonçait cette fois non
pas les romanciers épris de la nature mais les musiciens folks à succès qui avaient marqué
l’année. Comme Poole (mais sans ses délires sur l’écologie comme
antihumanisme), l’auteur cherchait à montrer le caractère réactionnaire de ce
mouvement (la fausse culture folk, représentée notamment par Laura Marling ou
Mumford and Sons) en identifiant ici son insistance exagérée à exprimer de
l’authentique au discours conservateur sur les émeutiers de Londres qui ne
seraient pas de « vrais Londoniens ». L’auteur rappelait que le
folk peut être contestataire et démocratiquement inclusif, alors que les
artistes folks à succès d’aujourd’hui s’intègrent parfaitement au projet
conservateur de la Big Society et de la fausse indépendance qu’il prône. Le
point soulevé par cet article était donc celui du rôle que joue l’art (ici, la
musique) dans nos représentations du monde social.
Pour en revenir à Skelton, s’il y a quelque chose à lui
reprocher, ce n’est pas d’avoir « parlé pour » ou d’avoir altéré le
lieu de son installation, mais plutôt d’en avoir exclu les spectateurs. Il est
paradoxal de vouloir sensibiliser les participants d’un festival à un lieu
déserté et aux sons qui l’habitent tout en le clôturant et en masquant ces sons.
On pourrait même dire qu’il ne peut pas ne pas y avoir une quelconque altération :
il n’y pas de forme pure qui serait en adéquation parfaite avec l’espace et
les êtres qui l’habitent. La question est de savoir quelle signification ont les altérations nécessaires.
Il ne s’agit donc pas tellement d’opposer l’existence
physique bien réelle de la nature aux conceptions que nous en avons et de se
plier au « mouvement du monde », mais d’opposer une conception à une
autre. En ce sens, il est bien question de « lignes sur une carte ». L’auteur
conclue en disant à juste titre que l’art doit pouvoir
« cartographier » les transformations de nos usages de l’environnement,
c’est-à-dire de nos conceptions de la nature. Il s’agit de savoir quelles
cartes nous voulons dessiner, avec quelles projections, quels liens nous
voulons nouer avec les humains et les non-humains, et de quelles histoires nous
voulons nous souvenir.
28 sept. 2013
We shall overcome
In the wake of this day, more violence was to come, more hatred; but in the long history of men’s cruelty to men, this was a day of hope.
The March, documentaire de James Blue sur la Marche vers Washington, a été restauré en version numérique pour son 50ème anniversaire. L’image est superbe, le film est à la fois sobre et très expressif, plein de sourires et de chants, comme ce « We shall overcome » repris en chœur. Le discours de King est malheureusement censuré, étant « protégé » par copyright jusqu’en 2038 (on peut cependant l’entendre ici).
27 sept. 2013
26 sept. 2013
Devil came a-calling
Paddy McAloon a toujours le cœur pur, la plus belle voix du monde et un talent de mélodiste intact. L'album a fuité dès le mois de mars et sort officiellement le 7 octobre sous le nom de Crimson/Red.
20 sept. 2013
19 sept. 2013
18 sept. 2013
17 sept. 2013
13 sept. 2013
Califone - Stitches
Cut the connection
Just to stitch it together
Again, again, again
Encore un bel album de Califone et de son indie folk diapré (nuancé, moucheté, irisé, varié, j'ai mon dictionnaire des synonymes sous le bras). L'impression de rentrer chez soi, de retrouver petit à petit des sensations
familières. Celui-ci touche plus directement que les précédents, même s’il faut de la patience pour découvrir toutes ses nuances. Rien ne va jamais, rien n’est
jamais comme on l’espérait, mais on se plaît à ressasser ses idéaux et à se
reprocher d’y croire encore. Le dernier morceau de l’album est une plage d’ambient
plutôt légère, comme pour absorber les mots et révéler qu’ils ne sont qu’un
moyen d’habiter ses déceptions – qu’après tout, ça fait déjà longtemps que ça
dure, et ça ne va pas si mal.
(Califone, Stitches, Dead Oceans, 2013)
12 sept. 2013
8 sept. 2013
Mahmoud Ahmed - Erè Mèla Mèla
Pas question de m’aventurer dans
une autre histoire d’amour
Quelle place pourrais-je laisser à
une autre ?
J’ai beau consulter tous les
médecins, cela ne sert à rien
Ma maladie c’est toi puisque tu n’es
jamais près de moi
Quand j’ai trop faim, je grignote
n’importe quoi
Mais pour moi, me rassasier c’est
me nourrir de ton amour.
Quand ? Aujourd’hui ou demain ?
Quand serons-nous les yeux dans les
yeux ?
J’ai des céréales en abondance mais
je reste affamé
Car ma faim est la faim de tes
lèvres
Tu obsèdes mon esprit jour et nuit
et je meurs
De ton absence.
Un des albums les plus enthousiasmants que j’ai écoutés cette
année (c’est pas Bruce Gilbert ou Roly Porter qui vont égayer le mois de septembre). Apparemment l’album de l’âge d’or de la
musique éthiopienne et celui qui a donné à Mahmoud Ahmed une renommée
internationale. Faut croire que je ne suis pas dans les bons réseaux.
(Mahmoud Ahmed, Erè Mèla Mèla, 1975)
3 sept. 2013
2 sept. 2013
Alban Lefranc - Le ring invisible
Tu esquives si bien que tu décides de te passer tout à fait de garde, de faire mentir, à ton usage exclusif, tous les principes de la boxe. Non seulement tu n’as pas de garde, mais sans jamais quitter des yeux ton adversaire tu tends le menton à ses poings. Et quand ton adversaire tente un assaut, tu recules de front, face au coup – le pire du pire t’explique ton entraîneur émerveillé, puisque c’est ainsi (en principe) que les boxeurs débutants perdent leurs appuis, l’équilibre, la face – avant d’abandonner le noble art (en principe), de quitter le ring, la queue entre les jambes, piteux, culs blancs (en principe). Tu t’obstines dans cette – quoi ? tactique ? on ne peut pas appeler tactique ce qui est suicide, suicide aveugle ou délibéré – dans cette monstruosité pugilistique. On t’entend t’obstiner devant ton entraîneur (Joe Martin), tu as treize ou quatorze ans, bientôt quinze, on t’entend dire que tu sais très bien ce que tu fais, qu’on verra ce qu’on verra. L’entraîneur toujours émerveillé se persuade que ça te passera, après quelques coups à la pointe du menton, que tu finiras bien par boxer selon les principes immémoriaux du noble art.Dès treize ans, ta garde basse t’oblige à tout miser sur l’œil. Ta garde basse t’oblige à avoir deux corps : un corps visible et provisoire, un corps tentateur, offert aux poings de l’adversaire, et un second corps, déjà plus loin, le corps du moment d’après, le corps qui anticipe le coup à venir, qui va placer le contre.
[...]
Tu es très vite connu (dans le quartier, puis au sud de l’Ohio, ton nom mâché dans les bouches) pour cette tactique aberrante, d’éviter les coups de très peu et de contre-attaquer au menton, à la tempe, au foie. Si ta garde est aberrante, tes esquives le sont plus encore. Au lieu de reculer à droite ou à gauche, comme on l’a toujours appris et pratiqué depuis trois siècles, comme l’ont toujours voulu la science exacte, les manuels et les maîtres, tu recules de front, face au coup, en inclinant le buste, au risque de perdre l’équilibre. Ces aberrations accumulées donnent d’abord confiance à tes adversaires qui se précipitent dans la brèche en piaffant mais ne rencontrent que le vide, l’ancien corps de Cassius, le corps du moment d’avant, qui n’est déjà plus.
[...]
(Albanc Lefranc, Le ring invisible, Verticales, 2013)Il y a le poids de ma concentration dans le vestiaire, le poids de dix ans de concentration, ma concentration distillée depuis 1954, depuis que je suis monté sur un ring la première fois, dix ans de phrases murmurées pour moi, répétées, reprises, enfoncées, ancrées en moi, un festin, un bûcher de phrases, et les phrases crépitent dans le grésillement des ampoules au-dessus du vestiaire, les phrases efficaces, les phrases avec greatest of all time, avec king of the world, avec champion of the world, les phrases puériles qui à force de répétitions perdent de leur puérilité, les phrases avec I am, I will be, qui à force de répétition s’emboitent, se soudent et font muraille, les phrases qui dressent une première puis une deuxième puis une troisième muraille, qui repoussent les doutes de Dave, John, Richard ou William, les certitudes de Bob, Dustin, Steve et Clark, qui maintiennent à distance les articles de Nat Fleischer, les paris de Billy Conn, les certitudes de Joe Louis, et voici que les phrases dégringolent sur les journalistes, voyez : elles les noient comme les flots du Nil les armées de Pharaon, elles les disloquent une bonne fois pour toutes.
Nathanaël West - Miss Lonelyhearts
- Mon ami, dit-il, je sais bien que ni le retour à la terre, ni les mers du Sud, ni l’hédonisme, ni l’art, ni le suicide, ni la drogue ne signifient quoi que ce soit pour des gens comme nous. Nous ne sommes pas hommes à violer une montagne pour qu’elle accouche d’une souris. Dieu seul est notre issue. L’Eglise est notre seul espoir, la Première Eglise du Christ Dentiste, où il est vénéré comme Protecteur des Caries. L’Eglise dont le symbole est la Sainte Trinité nouveau-style : le Père, le Fils et le Fox-Terrier à Poils Blancs. Alors, mon bon ami, laisse-moi te dicter une lettre que tu adresseras au Christ :
Chère Miss Lonelyhearts des Miss Lonelyhearts,
J’ai vingt-six ans et je suis dans le cirque du journalisme. La vie pour moi est un désert où je me sens très mal. Ni la nourriture, ni l’alcool, ni les femmes ne me donnent de plaisir – et les arts ne sont plus pour moi une source de joie. Le Léopard de l’insatisfaction rôde dans les rues de ma ville ; le Lion du découragement est couché derrière les murs de ma citadelle. Tout n’est que désolation et vexation de l’âme. Je vis un enfer. Comment puis-je ne pas en douter, comment puis-je avoir foi dans l’instant et dans l’époque que nous vivons ? Est-il vrai que les plus grands hommes de sciences croient à nouveau en vous ?
Je lis votre chronique que j’aime beaucoup. Un jour, vous y avez écrit : « Quand le sel a perdu sa saveur, qui en retrouvera le goût ? » La réponse serait-elle : « Nul homme sinon le Sauveur ? »
En vous remerciant à l’avance de me répondre rapidement, je reste votre serviteur.
Un fidèle abonné
A quelques détails près (journalisme, fidèle abonné, etc.), je signerais aussi.
(T'as compris que ce blog allait être assez approximatif.)
(Nathanaël West, Miss Lonelyhearts, Editions Sillages, 2011 (1933))
War sucks
J'étais parti pour un "Free form freak-out" en guise de définition de ma ligne éditoriale mais en ces temps troubles il est bon de rappeler quelques évidences.
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