2 sept. 2013

Nathanaël West - Miss Lonelyhearts



- Mon ami, dit-il, je sais bien que ni le retour à la terre, ni les mers du Sud, ni l’hédonisme, ni l’art, ni le suicide, ni la drogue ne signifient quoi que ce soit pour des gens comme nous. Nous ne sommes pas hommes à violer une montagne pour qu’elle accouche d’une souris. Dieu seul est notre issue. L’Eglise est notre seul espoir, la Première Eglise du Christ Dentiste, où il est vénéré comme Protecteur des Caries. L’Eglise dont le symbole est la Sainte Trinité nouveau-style : le Père, le Fils et le Fox-Terrier à Poils Blancs. Alors, mon bon ami, laisse-moi te dicter une lettre que tu adresseras au Christ :

Chère Miss Lonelyhearts des Miss Lonelyhearts,

J’ai vingt-six ans et je suis dans le cirque du journalisme. La vie pour moi est un désert où je me sens très mal. Ni la nourriture, ni l’alcool, ni les femmes ne me donnent de plaisir – et les arts ne sont plus pour moi une source de joie. Le Léopard de l’insatisfaction rôde dans les rues de ma ville ; le Lion du découragement est couché derrière les murs de ma citadelle. Tout n’est que désolation et vexation de l’âme. Je vis un enfer. Comment puis-je ne pas en douter, comment puis-je avoir foi dans l’instant et dans l’époque que nous vivons ? Est-il vrai que les plus grands hommes de sciences croient à nouveau en vous ?

Je lis votre chronique que j’aime beaucoup. Un jour, vous y avez écrit : « Quand le sel a perdu sa saveur, qui en retrouvera le goût ? » La réponse serait-elle : « Nul homme sinon le Sauveur ? »

En vous remerciant à l’avance de me répondre rapidement, je reste votre serviteur.

Un fidèle abonné

 A quelques détails près (journalisme, fidèle abonné, etc.), je signerais aussi.
(T'as compris que ce blog allait être assez approximatif.)

(Nathanaël West, Miss Lonelyhearts, Editions Sillages, 2011 (1933))

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